Le demi-fond a tenu la vedette à Athletissima. Jakob Ingebrigtsen a réalisé la meilleure performance mondiale de l’année sur 1500 m au terme d’une course spectaculaire, pendant que le Marocain Soufiane El Bakkali signait une magnifique chevauchée solitaire sur 3000 m steeple, soulevant l’admiration des 13'000 spectateurs.
« Ce fut vraiment une jolie course », a lancé sobrement le très efficace Jakob Ingebrigtsen. Le Norvégien a pris une sorte de revanche à distance. Après avoir dû « se contenter » de la médaille d’argent sur 1500 m aux Mondiaux de Eugene, derrière le Britannique Jake Wightman, il a ravi à ce dernier sa meilleure performance mondiale (MPM) de l’année. En 3’29’’06, le quadruple champion d’Europe et champion olympique a dompté les Kényans en s’échappant irrésistiblement avant la cloche.
Le 100 m féminin s’annonçait comme le clou de cette antépénultième étape de la Wanda Diamond League. Las, la quintuple championne du monde Shelly-Ann Fraser-Pryce déclarait forfait en dernière minute après avoir subi une blessure musculaire à l’échauffement. La malchance des Jamaïcaines se poursuivait avec la disqualification pour faux départ de la triple championne olympique Elaine Thompson-Herah. Et la troisième des Jamaïcaines, Shericka Jackson, écopait d’un avertissement. C’est finalement l’outsider des Etats-Unis Aleia Hobbs qui tirait les marrons du feu (victoire en 10’’87), devant Jackson (10’’88). La championne d’Europe du 200 m, la Suissesse Mujinga Kambundji, n’était pas dans un bon jour (6e en 11’’15).
Lyles en patron
Sur 200 m, le double champion du monde Noah Lyles a fait honneur à son étiquette de favori. En 19’’56, il a dépassé dans les derniers décamètres le spécialiste de 400 m Michael Norman (19’’76). « J’aurais signé pour tout chrono sous 19’’6. Mon temps de ce soir me va bien », a dit Lyles, qui avait fusé en 19’’50 en 2019 à Lausanne.
Soufiane El Bakkali a offert un récital sur 3000 m steeple. Le champion olympique et du monde n’a pas été avare de ses efforts et a dynamité le peloton pour l’emporter en solitaire en 8’02’’45, sous les ovations du public. Le Marocain a laissé les athlètes des hauts plateaux d’Afrique de l’Est à dix secondes et plus. Pas mal pour celui qui se disait « fatigué » après les Mondiaux de Eugene, le mois passé !
L’espoir jamaïcain Rasheed Broadbell a écrit une des belles histoires de la soirée. Il figurait sur la liste d’attente du 110 m haies et ne devait normalement pas courir. Mais grâce à un forfait de dernière minute, il a eu sa chance et l’a saisie de la meilleure manière: avec une victoire et un premier chrono en carrière sous treize secondes (12’’99). Le champion du monde en titre Grant Holloway (USA) a fini 3e en 13’’11 derrière son compatriote Trey Cunningham (2e en 13’’10), tandis que le recordman de Suisse Jason Joseph terminait loin (8e en 13’’66).
Yulimar Rojas garde la main
Yulimar Rojas a gagné mais secouait la tête de dépit après son ultime essai au triple saut. Malgré les vifs encouragements du public, la numéro 1 mondiale de l’athlétisme féminin n’améliorait pas ses 15m31 réussis à sa cinquième tentative. La championne olympique et du monde l’a emporté très largement, pas si loin finalement de son record du monde (15m74). Elle a assuré le show.
La championne olympique Jasmine Camacho-Quinn a dominé un 100 m haies de très haut niveau. En 12’’34 (record d’Athletissima), la Portoricaine a devancé la championne et recordwoman du monde, la Nigériane Tobi Amusan (12’’45). Médaillée de bronze aux Championnats d’Europe, la Suissesse Ditaji Kambundji n’a pu échapper à la 8e place (12’’83).
Femke Bol avait gardé du jus. Une semaine après son triplé inédit aux Championnats d’Europe de Munich (400 m, 400 m haies et 4x400 m), la Néerlandaise a réussi le tour de force de dompter les athlètes d’outre-Atlantique. La championne entraînée par Laurent Meuwly a très bien dosé sa course pour s’imposer en 52’’95, record du meeting. Ses plus proches poursuivantes ont fini une seconde derrière elle.
Sur le 400 m plat, Marileidy Paulino, championne du monde du 4x400 m mixte avec la République dominicaine, s’est imposée en 49’’87.
Ce devait être course hyperrapide, ce fut finalement une bataille tactique. Le 3000 m féminin a vu la Burundaise Francine Niyonsaba arracher la victoire à la photo-finish en 8’26’’80, faisant valoir ses qualités d’ex-coureuse de 800 m. L’étonnante Américaine Alicia Monson a terminé 2e à 0’’01, dans une course qui a tourné à la déception pour les favorites Sifan Hassan (4e, après avoir accroché la bordure de la piste) et de Laura Muir (7e). Le fait que Niyonsaba ait battu le record du meeting malgré un début de course assez « lent » embellit encore sa performance.
Le retour de Chopra
Superstar en Inde, le champion olympique Neeraj Chopra a tenu son rang au javelot. Il a assuré sa place pour la finale de la Diamond League à Zurich en dominant le concours avec un jet à 89m08, avant d’aller rencontrer avec le président du CIO Thomas Bach, ravi de saluer l’idole du sous-continent indien. « Je suis particulièrement content car je reviens de blessure », a rappelé Chopra, qui avait manqué les Jeux du Commonwealth.
Le triple saut a débouché sur un magnifique et assez inattendu triplé cubain. Andy Diaz Hernandez s’est imposé avec 17m67, confortant son avance en tête du classement de la Diamond League, devant Lazaro Martinez (17m50, record personnel) et Jordan Diaz Fortun (17m41).
Le vent n’a pas aidé les perchistes. La Slovène Tina Sutej, au sommet de sa forme à 33 ans après sa médaille de bronze aux derniers Mondiaux en salle, s’est imposée avec un bond à 4m70. La Suissesse Angelica Moser n’est pas montée plus haut que 4m50 (5e).
Au poids, le recordman du monde Ryan Crouser a subi une rare défaite (2e avec 22m05), derrière son compatriote des Etats-Unis Joe Kovacs (22m65).
Les sauteurs en hauteur sont demeurés « en dedans » de leur potentiel. L’Ukrainien Andriy Protsenko, avec 2m24, l’a emporté au nombre des essais en réussissant un sans faute sur ses trois hauteurs franchies. Le champion olympique et du monde Mutaz Barshim (QAT) a pris la 2e place avec la même performance, devant JuVaughn Harrison (2m24 aussi).
Hors épreuves Diamond League, le 800 m féminin fut de haute tenue. Il a permis à la Française Rénelle Lamote de battre son record personnel (1’57’’84) et de remporter une victoire de prestige. La belle surprise est venue de la jeune Suissesse Audrey Werro. Pleine d’audace, la vice-championne du monde juniors a suivi le rythme rapide de la meneuse d’allure avant de faiblir un peu dans la dernière ligne droite, tout en descendant – pour la deuxième fois de sa jeune carrière – sous deux minutes (5e en 1’59’’87). Juste derrière la championne du monde 2019, l’Ougandaise Halimah Nakaayi (1’59’’73). L’autre Suissesse de la course, Lore Hoffmann, est arrivée 8e (2’00’’08).
Olivier Petitjean
Belle distinction
La soirée avait débuté par un bel honneur décerné à Athletissima : la Plaque commémorative « Héritage » de World Athletics a été remise en reconnaissance de tous les exploits réalisés lors du meeting au cours des années. Deux jeunes athlètes locaux l’ont dévoilée devant le podium, en présence du légendaire Serguey Bubka, meilleur perchiste de tous les temps, de Thomas Bach, président du CIO, de Pierre Tenger, président d’Athletissima, et de Jacky Delapierre, le boss et fondateur du meeting. « Cette plaque est d’abord une marque de reconnaissance pour les 700 à 800 bénévoles qui œuvrent chaque année pour le meeting », a dit « Jacky ».
Les relayeuses se réconfortent
Les relayeuses suisses se sont réconciliées avec elles-mêmes et avec le public en remportant le 4x100 m en 42’’91. Eliminée en séries des Championnats d’Europe de Munich, l’équipe nationale a bénéficié du retour de Mujinga Kambundji pour devancer les Pays-Bas (43’’02) et l’Espagne (43’’75). Le chrono est bon mais n’aurait pas suffi à accrocher le podium à l’Euro, où l’Italie avait pris le bronze en 42’’84. L’équipe de Suisse s’est alignée avec Géraldine Frey, Kambundji, Salomé Kora et Ajla Del Ponte, qui a bien résisté dans la dernière ligne droite. Les Suissesses ont bien mérité leur tour d’honneur en voiturette, en clôture de la réunion.
Olivier Petitjean